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Philippe Grassaud x L'Essentiel du Sup

Retrouvez l'interview de Philippe Grassaud, président d'Eduservices, avec l'Essentiel du Sup, lettre d'information dédiée aux acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche. 

"Aujourd’hui notre savoir-faire est reconnu au moins dans les faits, l’apprentissage s’est transformé sur la base des preuves de nos réalisations." Philippe Grassaud, fondateur d'Eduservices. 

Olivier Rollot : Comment définiriez-vous le Groupe Eduservices qui compte aujourd’hui plus de vingt écoles dans le management la communication ou encore les arts ?

Philippe Grassaud : L’Alliance en est la définition la plus juste. Une homogénéité de pensée et d’action dans le cadre d’une stratégie commune. Toutes nos écoles et leurs directions sont unis vers un même objectif, servir l’emploi et la juste place des jeunes dans l’entreprise. Cette union se concrétise sur nos campus qui rassemblent plusieurs écoles dont les élèves se rencontrent, créent des synergies, des événements et utilisent ainsi toutes les possibilités de « L’Alliance Eduservices ». Chaque année, un grand évènement réunit tous les directeurs des campus ainsi que leurs collaborateurs dans un partage des innovations et des meilleures pratiques pédagogiques en prise directe avec les besoins des employeurs.

 

La moitié des élèves d’Eduservices sont des apprentis. Quelle est la répartition entre les contrats d’apprentissage et de professionnalisation ?

P. G : Nous basculons peu à peu du côté du contrat d’apprentissage. La réforme de la formation professionnelle de 2020 est une vraie révolution culturelle : pour la première fois le gouvernement s’est servi de l’expérience du secteur privé pour engager une réforme de l’apprentissage largement inspirée du contrat de professionnalisation. Nous sommes sortis du malthusianisme qui prévalait, avec une taxe d’apprentissage qui était dissociée des effectifs et de l’action des bénéficiaires, pour mettre en avant le rôle et la responsabilité des acteurs principaux que sont les organismes de formation et d’enseignement professionnel.

 

Il n’en reste pas moins que l’apprentissage risque d’être victime de son succès. En septembre 2020 un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances préconisait une baisse générale des financements de France Compétences, et notamment dans l’enseignement supérieur.

P. G : C’est une question à régler dans la concertation. La réforme a montré un secteur dynamique. Il faut en être fier : aujourd’hui la France a un meilleur système d’apprentissage que l’Allemagne. Mais on se rend également compte que le monde des organismes de formation est très divers avec aussi bien des groupes 100% privés comme le nôtre que des petites écoles associatives, des CFA (centres de formation d’apprentis) de branche, d’autres dépendant de chambres de commerce et d’industrie, etc. Or on s’est contenté de greffer les coûts contrats déclarés en préfecture sans entrer dans la complexité de nos métiers. L’apprentissage est aujourd’hui autant victime de son succès que de l’empilement des domaines.

Autre souci de mise en œuvre : les modalités administratives comme les niveaux de prise en charge sont très différents d’un OPCO (opérateur de compétences) à l’autre. Ils doivent prendre le temps de gérer ces différences avec les opérateurs. Quand l’Igas propose juste une baisse uniforme des financements de 3%, essentiellement dans l’enseignement supérieur comme vous le soulignez, c’est une vue macro alors qu’il faut conserver les acquis de la réforme. Un tiers de nos apprentis viennent de quartiers défavorisés et l’apprentissage est pour eux un véritable instrument de promotion sociale.

Le risque principal est de voir revenir les démons du « Stop & Go » des politiques de l’Etat. Rien ne serait plus catastrophique pour le secteur de la formation professionnelle, j’entends les jeunes, la promotion sociale et l’emploi.

O. R : Votre métier c’est vraiment d’amener les jeunes vers l’emploi.

P. G : Nous devons apporter l’entreprise aux jeunes en les testant, en les formant, en les déculpabilisant, en reprenant leur langage, etc. Et cela coûte d’autant plus cher que le niveau de départ des candidats est faible. Plus de 200 personnes y travaillent dans notre groupe ce qui représente un budget de 15 à 18 millions de d’euros chaque année. La contrepartie est un taux de placement de plus de 85%. Quasiment pas d’apprentis sans contrats à la fin de l’année civile.

O. R : Le niveau de prise en charge de vos formations, le « coût contrat », vous semble cohérent ? Beaucoup de Grande écoles de management s’en plaignent.

P. G : Tout dépend du modèle économique. Pour notre part nous sommes agiles avec un coût moyen à 9 000 euros qui correspond aux préconisations de France Compétences. Nous devons seulement être soutenus quand une branche professionnelle nous demande de développer des spécialités très particulières, avec seulement 40 apprentis répartis sur l’ensemble du territoire, ou très chères parce qu’elles demandent beaucoup de matériel.

Quant aux écoles de commerce leur excellente académique fait qu’elles travaillent dans un environnement mondial et à un prix mondial. Mais comment peuvent-elles basculer sur l’apprentissage où le ressort essentiel n’est pas la somme du savoir mais celle de la professionnalisation ? Quand toutes les ressources vont vers la recherche que reste-t-il pour la recherche d’emploi ? Un groupe comme le nôtre consacre une part très importante de ses ressources à trouver les entreprises, faire signer les contrats, négocier et préparer les étudiants à aller vers les entreprises. Pour réussir dans l’apprentissage il faut un équilibre particulier entre la pédagogie et l’action vers l’entreprise opérationnelle. C’est le modèle de production qu’il faut interroger.

O. R : Quel regard jetez-vous sur l’action de France Compétences ?

P. G : France Compétences joue bien son rôle de régulateur. Au départ de la réforme on imaginait qu’il suffisait de faire ce que disaient les entreprises pour que le système fonctionne parfaitement bien. Mais en réalité on se rend compte qu’il faut partir des jeunes et de leurs besoins.

 

O. R : Vous venez de créer une association, Entreprises Educatives pour l’Emploi (3E), avec d’autres grands acteurs de la formation que sont l’IGS, Inseec U., Galileo, MediaSchool, Reseau GES, C&D. Quelle est la finalité de cette nouvelle structure ?

P. G : Nos organisations respectives appartiennent à deux mondes différents et complémentaires : celui de la formation professionnelle que représente la Fédération de la formation professionnelle (FFP) et celui de l’enseignement initial de la Fédération nationale de l’enseignement privé (FNEP). Un exemple : nous travaillons avec deux conventions collectives différentes. Ces deux mondes ont eu du mal parfois à s’accorder, notre association facilite le dialogue, et nous travaillons d’ailleurs tous très bien ensemble dans l’intérêt des apprenants comme de nos entreprises. Les 3E veulent mettre en valeur la richesse de l’initiative privé dans le domaine éducatif, son implication sociétale et sa motivation à contribuer à rendre meilleur l’avenir des jeunes.